Élections 2010: l’agenda politique international n’attend pas

L’hiver aura donc attendu le résultat des élections pour s’abattre sur Pristina, laissant la liberté aux partisans d’Hashim Thaçi de fêter leur victoire dès dimanche soir. Pourtant, avec 33.5% des voix, le PDK ne pourra gouverner seul et devra surtout faire accepter une victoire émaillée de lourds soupçons de fraudes et fortement contestée par les partis d’opposition. Toutefois, le corps diplomatique international presse fortement pour la formation rapide d’un nouveau gouvernement.

Bien plus que les Kosovars eux-mêmes, Washington et Bruxelles veulent trouver dans ces élections le moyen de préparer l’avenir du Kosovo.

Malgré une participation en hausse (47%), le scrutin de ce dimanche n’a pas été l’occasion d’un grand bouleversement du jeu politique national. Le PDK reste au pouvoir, la LDK, au bord de l’implosion en octobre, limite la casse (23.6%), tandis que l’AAK (10.8%) et l’AKR (7%) gardent leurs sièges au Parlement. Vetëvendosje, quant à lui, devient la troisième force politique du pays mais obtient un score inférieur à ce qui était attendu (12.2%). Fryma e Re, en dépit du soutien officiel des États-Unis, n’a pas atteint la barre des 5%. La révolution partisane n’a donc pas eu lieu, se heurtant à l’ancrage social et territorial des partis traditionnels.

Dimanche soir, la LDK fête sa victoire face aux partisans du PDK sous contrôle policier - par Pierre Bonifassi 2010

Dimanche soir, la LDK fête sa victoire face aux partisans du PDK sous contrôle policier - par Pierre Bonifassi 2010

Cependant, les partis d’opposition, la LDK en tête, remettent en question les résultats officiels et appellent à l’annulation du scrutin dans les fiefs du PDK, à Skënderaj et à Glogovcë.

En effet, la promesse faite par l’ensemble des formations d’assurer des élections loyales a rapidement été rattrapée, et sans grande surprise, par la réalité du terrain : intimidations, convois organisés d’électeurs, contournement des procédures de contrôle des votes, et autres échanges et falsifications des procès verbaux (voir la vidéo publiée par Vetëvendosje). Ainsi, à Gračanica, une voix se négociait autour de 50 euros, tandis qu’à Prizren les citoyens, même absents des listes, ont eu le privilège de voir leur nom inscrit sur les registres de vote. La municipalité Skënderaj affiche, quant à elle,  une participation de 94%, quand certains bureaux de vote de la région culminent à 148%.

Dans un pays où feu le Président Rugova, disparu en 2006, avait voté l’année suivante près d’une quinzaine de fois, ces manipulations n’étonnent toutefois personne.

A Janjevo, le PDK organise un convoi d'électeurs le jour du scrutin - par Pierre Bonifassi 2010

A Janjevo, le PDK organise un convoi d'électeurs le jour du scrutin - par Pierre Bonifassi 2010

Les Serbes du Kosovo: entre pragmatisme et indifférence

Par ailleurs, le vote serbe, très attendu, a confirmé le clivage entre le Nord et le reste du pays. Si 35% des Serbes des enclaves se sont rendus aux urnes dimanche, la participation au Nord a été quasi nulle : deux bulletins seulement ont été comptabilisés à Mitrovica et Leposavić. Les tensions perceptibles à Zvečan, où les bureaux de vote mobiles ont dû fermer prématurément, ne doivent pas faire oublier le calme relatif dans lequel se sont déroulées les élections.

Toutefois, si Pristina reste officiellement intangible sur la question de la partition du Kosovo, celle-ci n’est cependant plus seulement une situation de fait. Elle se trouve affirmée, voire justifiée, par la participation discordante des Serbes. En somme, par le pragmatisme contraint des uns, au Sud, et l’indifférence clairement affichée des autres, au Nord de l’Ibar. Et bien qu’elle ne soit une solution heureuse ni pour le pays, ni pour la région, aucune autre issue crédible n’est aujourd’hui envisageable.

Les élections ont été marquées par une forte participation des Serbes des enclaves (30%), comme ici à Gračanica - par Pierre Bonifassi 2010

Les élections ont été marquées par une forte participation des Serbes des enclaves (30%), comme ici à Gračanica - par Pierre Bonifassi 2010

Sûrement bien plus que pour les Kosovars eux-mêmes, les élections de dimanche revêtent ainsi une importance primordiale pour les diplomaties européenne et américaine. En dépit des cas de fraude reconnus par les observateurs, le corps diplomatique international presse le PDK de constituer au plus vite le prochain gouvernement. En jeu : le lancement des négociations tant attendues avec Belgrade. Et dans cette perspective, les premières élections du Kosovo indépendant ne sauraient être un échec pour Washington et Bruxelles.

La constitution définitive du gouvernement pourrait toutefois prendre plusieurs jours, voire plusieurs semaines. L’AKR et le parti serbe SLS devraient vraisemblablement former la future coalition autour du PDK. Il faudra cependant attendre les résultats officiels et le règlement des nombreux contentieux électoraux.

Mais compte-tenu du contexte politique tendu, marqué hier par la résurgence d’une affaire de trafic d’organes impliquant Hashim Thaçi – retour qui, trois jours après le scrutin contesté, ne doit rien au hasard – il possible que les Kosovars soient amenés à retourner aux urnes dans les mois prochains.

Pierre Bonifassi

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